COMMENT J’AI CREE LA SECTION DES AMIS DE LA CINEMATHEQUE FRANCAISE A GRENOBLE EN OCTOBRE 1962

Michel Bercovier

Bonjour,
Je viens seulement de découvrir  par Internet votre association. Je me permets de vous transmettre quelques souvenirs que vous pouvez, si vous le désirez placer ou évoquer sur votre site. Je suis en contact par Serge Toubiana avec la Cinematheque de Grenoble dont le site ne mentionne pas les faits qui ont précédés et ont amenés sa création. Bien cordialement
Michel Bercovier

Résumé

Apres un bref rappel de mon arrivée dans les milieux culturels de Grenoble, je précise comment je fus amené à rencontrer Henri Langlois et comment, entrainé par son enthousiasme, la création des Amis de la Cinémathèque Française à Grenoble devint un drame local. Suivent les détails de l’ouverture de la première saison et quelques souvenirs personnels en guise de conclusion. Quelques documents et une photo d’époque viennent illustrer mon propos.

Préambule

Etudiant à Grenoble à partir d’octobre 1959 (habitant chez mes parents, place des Tilleuls), je m’inscris à l’UNEF et devient donc presqu’automatiquement membre du Ciné Club de Grenoble (CCG). Le CCG a ses séances  dans ce qui est aujourd’hui la Salle Olivier Messiaen, rue du Vieux Temple, alors un amphi de la Fac de Lettres équipé de matériel 35mm.

Octobre 1960 : je commence à militer plus sérieusement à l’UNEF.

Octobre 1961 : Je deviens très actif à l’UNEF, adjoint au délégué culturel (Henri Behar). J’y crée  un club de conférences littéraires politiques et sociétales: Le Club du Mardi. Sur 2 ans on reçoit Yves Bergé, Jean-Francois Bory , Anna Langfus, Michel Butor, André Fontaine du Monde, Jean Follain, Le Planning Familial,etc.

Le CCG , un des plus importants parmi la Fédération des Ciné Clubs de France d’alors, a pour secrétaire général  J-P Beauviala (membre du bureau UNEF). A la demande de l’UNEF-Grenoble je suis élu au bureau du CCG. Ainsi au cours de l’année je  fais une présentation du Poème de la Mer, oeuvre posthume de Alexandre Dovjenko (présentation entièrement basée sur des lectures, film que je découvre lors de la projection).

Rencontre avec Henri Langlois et Mary Meerson

Dans les résolutions et mandats de l’AG de l’UNEF: ouvrir une section de la Cinémathèque Française (CF) à Grenoble. Pour appliquer cette résolution, je demande « ingénument » un RV à Henri Langlois, qui me l’accorde immédiatement. Début printemps 62, je me rends donc au 82 rue de Courcelles à Paris accompagné, un peu par hasard, par un ami d’enfance Georges Mossé, lui aussi étudiant à Grenoble.

Nous sommes reçu par Henri Langlois et Mary Meerson. Nous venons mandaté par l’UNEF-Grenoble pour évoquer la création d’une section des Amis de la Cinémathèque Française et organiser des projections régulières venant du fond  de la CF. Je leur signale que le président du CCG, le professeur Léon Cellier et Jean-Michel Barjol du CCG m’ont dit avoir été en contact avec eux. Henri Langlois me dit qu’il ne sait pas qui sont ces personnes. Je propose la création d’un  comité de parrainage incluant Léon Cellier, Michel Philibert (père du cinéaste Nicolas), premier universitaire à faire un cycle régulier de conférences sur le cinéma). Langlois m’interrompt: « Vous voulez créer cette section ? »… Je bafouille : »bien sûr ».  » Alors il n’y pas besoin de comité, vous le faites tous les deux' ».

Là dessus il nous détaille le plan de mise en oeuvre de la section:  » Trouvez une salle, nous ferons la programmation ensemble. Pour inaugurer la section, nous ferons une exposition Méliès à partir des dessins exposés  en 1961, et une projection inaugurale présentée par  le fils de Méliès, André ».

Paulo Rocha https://www.cinemathequedegrenoble.fr/collections/ouvrages/

Réaction violente à Grenoble

Nous revenons à Grenoble et, la bouche en cœur, j’annonce au Ciné-Club que « ca y est !», la Cinémathèque vient à Grenoble.

Pour cela, il nous faut trouver une salle de projection et un lieu pour l’exposition Méliès.

Et là, les passions se déchaînent !  Barjol et Cellier sont furieux : j’ai mis en danger l’existence du Ciné-club, j’ai abusé de ma position pour rencontrer Langlois, qui est ce Mossé qui m’accompagne partout, ? etc.

Réunion extraordinaire du bureau du CCG, expulsion de votre serviteur pour avoir mis en danger le Club  (un compte rendu complet apparait dans le Dauphiné Libéré (ou le Progrès?), mettant en cause un membre du bureau qui a outrepassé ses devoirs, et dans la plus belle tradition PQR, sans citer mon nom. Si l’on comparre le compte rendu d’octobre sur le bureau 1961-62 d’alors, on peut voir que je suis absent du nouveau bureau. Un peu auparavant J.P. Beauviala avait laissé la place de secrétaire général à Barjol.

Naturellement la Faculté des Lettres nous refuse la salle utilisée par le CCG (et d’autres comme les Jeunesses Musicales de France et les conférences d’explorateurs…). Nous demandons à la Municipalité  une salle contiguë à l’Hôtel de Ville (devenue je crois la salle Juliet Berto!). Après un coup de téléphone de la Mairie à Cellier, refus! Impossible de trouver une salle!

Désespéré, j’appelle Langlois pour lui raconter nos difficultés.

Il me dit de ne pas nous en faire. La Cinémathèque a un accord avec le Ministère de l’Education Nationale, qui s’est engagé à mettre à sa disposition  les équipements du Centre Régional de Documentation Pédagogique (CRDP) de  chaque Académie. Rendez vous avec le directeur du CRDP pour lui expliquer notre demande et l’informer de l’accord avec la Cinémathèque. Celui ci téléphone à Paris en notre présence et reçoit l’ordre de nous prêter la salle du centre et le projectionniste!!

Devant nous, tout penaud, il appelle successivement le recteur, le doyen de la Faculté des Lettres et le Professeur Cellier pour leur expliquer qu’il est navré mais il doit nous ‘passer’ sa salle! 

Cette salle n’est pas très bien équipée, un projecteur 16mm pas très puissant, un écran faiblement réfléchissant donnant une image assez faible et ne traduisant pas bien les contrastes des noirs et blancs. De plus elle est située au delà des « boulevards », sans moyen de transports publics et loin de tout, (impression d’époque, car depuis le CRDP est desservi par tram , si j’en crois Google Map).

Mise au point de la première saison

L’affiche de l’exposition Méliès à
Grenoble

Retour à Paris en Juin pour préparer  l’ouverture, le programme, la billetterie  et les affiches. Journées mémorables où je sers malgré moi de secrétaire à Langlois,(détails dans la dernière section.) Les entrées seront réservées aux Amis de la Cinémathèque Française, il n’y aura pas de section « formelle » pour Grenoble. La carte de membre est soit gratuite soit d’un prix symbolique ( je ne m’en souviens plus), et les tickets sont collés sur cette carte. Le choix des films est aussi dicté par le fait que nous n’avons qu’un projecteur 16 mm. Néanmoins le programme est fait de films classiques et rares car hors exploitation (que ce soit en salle ou en ciné club). Je n’ai plus le souvenir du rythme des projection ( bimensuel ou plus?). 

La première saison s’ouvrira donc par une exposition de dessins de Méliès. Le local sera prêté par l’ATAC, une association qui oeuvre pour la création d’une Maison de la Culture et prévoit que l’Association des Amis de la Cinémathèque y soit hébergée. Pour la publicité, Langlois me remet deux affiches de Felix Labisse  ( en fait des lithos qui n’avaient pas été utilisées pour imprimer les affiches de l’exposition aux Arts Déco).

De retour à Grenoble j’ en barbouillerai le bas à la main avec des feutres, et j’en poserai une dans la vitrine du Syndicat d’Initiative, rue Felix Poulat, et l’autre à l’ATAC (Rue JJ Rousseau??).

La première saison

Langlois vient inaugurer l’exposition, et nous avons droit à une photo dans « Le Progrès » qui avait alors une édition grenobloise. L’étape suivante fut la projection des films de Méliès présentés par son fils, André acteur de théâtre. Pour l’anecdote, au diner précédant la projection, André se montra peut disert et refusa la salade, en hors d’œuvre à Grenoble, en m’expliquant que cela faisait bégayer sur scène. Je fus surpris par la faconde et la rondeur qu’il montra une fois sur scène pour présenter les films. La salle était pleine et ce fut ainsi pour les saisons qui suivirent et par tout les temps, même sous la neige. De cette première saison j’ai souvenir de « Nosferatu » présenté par Lotte Eisner et du « Corbeau » de Clouzot .

Langlois à Grenoble : à la gauche de Langlois, Jean-Michel Barjol, au centre avec une barbichette, votre serviteur, à ma droite, Jonny Ebstein,, le doigt sur la lèvre, et Léon Cellier. Pour les autres je ne sais plus sauf Pierre Hervo au centre qui était pigiste au Progrès ou Dauphiné Libéré. 21 Octobre 1962

Moi-même avec Georges Mossé sur sa Vespa, nous allions chercher les bobines au train qui arrivait de Paris le matin et les retournions par fret le lendemain. En juin 1963, à Paris, nous ramenons les recettes et préparons la seconde saison. Langlois me dit que c’est la première fois qu’une section lui ramène de l’argent, ( j’ignore quelles furent les autres sections…)

J’annonce à Henri et Mary que je « monte » à la capitale en Octobre, laissant Georges Mossé seul aux commandes, tout en l’aidant depuis Paris. Langlois m’offre de venir travailler à la Cinémathèque ! Comme je voulais terminer mes études, je refuse et lui propose de l’aider bénévolement, ce que fis. Je « surveillais » les traducteurs pour que leur traduction simultanée ne provoque pas les rires de ceux dans la salle qui comprenaient la bande son. Et je servis de guide à quelques visiteurs prestigieux. Georges Mossé arrivera à son tour à Paris en Octobre 1965 et je ne sais qui lui a succédé.Mes liens avec Grenoble furent faibles, quelques visites pour voir mes parents. . .

 Carte des Amis de la Cinemathèque, tickets d’entrée, (qui montre que la Cinemathèque de Grenoble n’existait pas en tant qu’association, avant Juin 1965)

Quelques souvenirs personnels en guise de conclusion

D’entrée, travailler avec Langlois voulait dire être dans un tourbillon ! Mais aussi le début d’une longue relation amicale. De passage rue de Courcelles, vous vous trouviez mis à contribution. Ainsi dès ma seconde visite, juin 1962, je fus son « secrétaire ». Il s’agissait d’écrire, sous sa dictée, la lettre de rupture de la Cinémathèque avec la FIAF. J’ignorai tout de la FIAF, et Langlois m’expliqua pourquoi il ne voulait pas du MOMA (ils ne conservaient que des « chef’ d’oeuvres ») ni des Belges ou autres comme partenaires (car ils copiaient et « prêtaient » sans autorisation). La lettre nous prit une bonne demi journée avec interruption pour déjeuner dans le restaurant russe de la rue Daru (qui existe toujours, mais cuisine italienne). Imaginez ce que vivait un jeune provincial qui n’avait jamais connu que le CCG.

Début 1963 : « Vous êtes en voiture ? Allons au Palais de Chaillot, je dois voir les travaux! ». En 2CV, m’étant garé avec 2 roues sur le trottoir, je ne peux décoller. Je regarde mon passager sans oser expliquer le problème du à sa corpulence. Là dessus il sort de la voiture en me disant, «ne vous en faites pas, j’ai l’habitude ! ».

Arrivé au Palais de Chaillot je suis témoin d’une colère de Langlois, furieux de la décision de l’architecte d’imposer un rideau devant l’écran: il voulait que le spectateur entre et soit saisi par un grand mur blanc.  Et de plus pour le prix du rideau plusieurs films auraient pu être restaurés.

J’ai encore quelques souvenirs en réserve, mais non liés à la création des Amis de la Cinémathèque à Grenoble : anecdotes racontées par Mary Epstein, Lotte Eisner, Renée Lichtig, déjeuners au parc Montsouris, rencontres avec Khoulechov et Khokhlova, Jean Rouch, Mme Kashiko Kawakita, participation sur l’invitation de Langlois au 3ème CICI à Lausanne, Ciné Clubs animés avec l’aide de Mary et Henri, la crise de 1968, etc.

Jérusalem – Montperreux (Doubs) , Juin- Juillet 2018, Septembre 2019

Festival du Film court en Plein air de Grenoble: https://www.cinemathequedegrenoble.fr/festival/ 

Références

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Michel_Barjol .

ATAC : http://maisondelacreation.univ-grenoble-alpes.fr/fr/recherche/projets/le-fonds-jean-delume-depose-a-l-universite-stendhal-62471.kjsp

Bureau UNEF Grenoble 1962 ( on disait l’AG) http://www.germe-inform.fr/?p=772

jonny ebstein  https://www.idref.fr/059625708

Affaire Langlois-FIAF

http://www.fiafnet.org/images/tinyUpload/History/FIAF-Archives/Digitized%20docs/Congresses/1963_Belgrade%20Congress%20minutes_Red.pdf

Minutes FIAF de juin 1962

http://www.fiafnet.org/images/tinyUpload/History/FIAF-Archives/Digitized%20docs/Congresses/1962%20Rome_Minutes_EN_Red.pdf

3ème CICI LAUSANNE : http://www.cinematheque.ch/f/documents-de-cinema/documents-de-cinema/documents-une-histoire/

NOTES ADDITIONNELLES

Parler de Lotte Eisner, Mary Meerson and Marie Epstein, Renée Lichtig M.E raconte la rencontre Madleine Renaud JL Barraut a Grenoble lors du tournage du film Helene (1936)  réalisé par Jean Benoît-Lévy et Marie Epstein, sorti en 1936 l’équipe du tournage logeait a l’Hotel Lesdiguieres ( devenu? école hôtelière.. ) L.E raconte comment elle a connu B Brecht. R L raconte le montage du Dejeuner sur l’Herbe, Michel Phillibert pere de Nicolas.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Michel_Barjol

ATTAC: http://maisondelacreation.univ-grenoble-alpes.fr/fr/recherche/projets/le-fonds-jean-delume-depose-a-l-universite-stendhal-62471.kjsp »>http://maisondelacreation.univ-grenoble-alpes.fr/fr/recherche/projets/le-fonds-jean-delume-depose-a-l-universite-stendhal-62471.kjsp

Bureau UNEF Grenoble 1962 ( on disait l’AG) http://www.germe-inform.fr/?p=772

jonny ebstein  https://www.idref.fr/059625708

Affaire Langlois-FIAF: http://www.fiafnet.org/images/tinyUpload/History/FIAF-Archives/Digitized%20docs/Congresses/1963_Belgrade%20Congress%20minutes_Red.pdf

Minutes FIAF de juin 1962: http://www.fiafnet.org/images/tinyUpload/History/FIAF-Archives/Digitized%20docs/Congresses/1962%20Rome_Minutes_EN_Red.pdf

3ème CICI LAUSANNE : http://www.cinematheque.ch/f/documents-de-cinema/documents-de-cinema/documents-une-histoire/

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